La condition numérique, l’ouvrage de J.-F. Fogel et B. Patino est, si on veut, le contrepoint anthropologique de L’âge de la multitude, ouvrage de N. Colin et H. Verdier, dédié au monde numérique également récent, mais plus centré sur les dimensions économique et organisationnelle. Décidément, entre Colin et Verdier, Fogel et Patino, en France le monde numérique s’explore à deux. Ce n’est pas trop pour tracer à la machette des voies inédites, pour marteler les ruptures dissimulées dans la jungle de l’aire numérique. Vous croyiez par exemple que Google, c’est gratuit ! Eh bien non, vous dit-on dans La condition numérique, “la gratuité apparente de l’univers numérique masque en fait des dépenses d’une importance sans précédent.” Vous voilà avertis que les sentiers battus sont faits pour se perdre, tandis qu’une injonction à explorer ses propres voies est la seule (et difficile) planche de salut. D’ailleurs dans cette jungle, l’homme, “armé des outils numériques, trouve mieux que le bon chemin, son propre chemin.” A bon entendeur…
Pour Chronos, partenaire du cabinet Le Hub (encore un duo !), dans la 3e saison de DatAct, cet ouvrage brillant est une occasion précieuse pour mettre à l’épreuve nos analyses sur l’alchimie nécessaire à “La co-production de services”, intitulé de notre chantier d’innovation. Il s’agit d’exploiter le gisement éminemment prometteur (à défaut d’être encore pleinement solvable) des données publiques, personnelles et privées. Telle est, en effet, l’ambition de ce programme lancé le 23 avril qui rassemble territoires et entreprises dans une démarche d’innovation multi-partenariale d’une durée de 18 mois.
Le mode d’emploi des réseaux sociaux
D’abord qu’est-ce que c’est qu’un “service” à l’ère du numérique ? DatAct entend en dégager l’essence et la typologie. La formule évoquée pour Wikipedia – “synergie entre des contributeurs qui produisent ensemble des résultats impossible à atteindre seul” –, fonctionne aussi bien pour des services urbains récents comme Waze, AirBnB, Walkscore ou BlaBlaCar, mais pas seulement… Le marché repense aussi la définition même des services publics, il admet l’existence des services civiques ; les services à la personne sont profondément affectés par l’irruption du numérique ; la famille des services à distance s’invite déjà au festin serviciel… Tous ces services se formulent à l’aune d’un acteur que les partenaires de DatAct ont défini comme “les plus influents du mondes des intelligences”. On nomme là les réseaux sociaux. Au-delà d’un nécessaire inventaire des services émergents et à créer, il reste à décrypter le mode d’emploi des réseaux sociaux qui résistent aux analyses sociologiques traditionnelles. Ils appellent une investigation dans le programme DatAct.
La condition numérique, l’ouvrage de J.-F. Fogel et B. Patino est, si on veut, le contrepoint anthropologique de L’âge de la multitude, ouvrage de N. Colin et H. Verdier, dédié au monde numérique également récent, mais plus centré sur les dimensions économique et organisationnelle. Décidément, entre Colin et Verdier, Fogel et Patino, en France le monde numérique s’explore à deux. Ce n’est pas trop pour tracer à la machette des voies inédites, pour marteler les ruptures dissimulées dans la jungle de l’aire numérique. Vous croyiez par exemple que Google, c’est gratuit ! Eh bien non, vous dit-on dans La condition numérique, “la gratuité apparente de l’univers numérique masque en fait des dépenses d’une importance sans précédent.” Vous voilà avertis que les sentiers battus sont faits pour se perdre, tandis qu’une injonction à explorer ses propres voies est la seule (et difficile) planche de salut. D’ailleurs dans cette jungle, l’homme, “armé des outils numériques, trouve mieux que le bon chemin, son propre chemin.” A bon entendeur…
A l’assaut des services sans frontière
J.-F. Fogel et B. Patino rappellent une des sept caractéristiques du fameux The Cluetrain Manifesto, rédigé en 1999 par un groupe d’universitaires et devenu une référence mythique de l’histoire du réseau – le “sans frontière” – : les liens interdisent de définir où commence et où finit le territoire de chacun. C’est le prologue de la suite servicielle, concept énoncé par Chronos en 2000, que la massification du numérique est venu consolider. Le client refuse de se laisser enfermer dans un périmètre. Comment l’entreprise et le territoire peuvent ne pas suivre ce mouvement qui l’oblige à considérer ce qui se passe en amont et en aval de son offre, et même ce qui se passe pendant ? C’est en ignorant ce fondement innovant du service que les constructeurs automobiles voient passer les innovations dans la filière et dans la mobilité en général, sans être en mesure de prendre la main. Mais c’est en assumant jusqu’au bout ce raisonnement qu’Amazon a développé sa plate-forme ouverte multiservice, et son économie afférente si bien décortiquée par Verdier et Colin dans L’âge de la multitude.
Cela, les GAFA (comprendre Google, Amazon, Facebook et Apple) et consorts “industriels de la donnée” l’ont compris avant tout le monde et l’exploitent habilement et puissamment. Ces moguls “agissent dans un univers où ils ont été les premiers à comprendre que tout a changé. Souvent même, ils demeurent esseulés dans leur connaissance face à des concurrents qui croient encore à des lois économiques devenues périmées.” Et pan sur le monde vieilli des legacy companies (les sociétés historiques) qui voient passer les trains de l’innovation de rupture et peinent à embrasser d’autres stratégies.
Entreprises et territoires bornent leurs ambitions !
Dans un récent entretien au Nouvel Economiste, le président de SAS France, Edouard Fourcade, éclaire les attentes des entreprises françaises en matière de Big Data. Dans cette période d’absolue frilosité, entreprises et territoires tétanisés par une économie en déroute et par le chaos réglementaire de la donnée, bornent leurs ambitions et coupent les ailes des innovations. De fait, observe-t-il, les investissements en matière de données se concentrent sur la réduction des coûts et le court terme. L’horizon se forme sur la limitation des risques et sur l’optimisation de l’existant. Le long terme, la prospective, les innovations, les chiffres d’affaires de demain sont hors du scope. Au sein de cette vision réductrice, les données endogènes ne sont qu’un réservoir de solutions d’économies immédiates. Le brassage des données publiques, personnelles et privées passe en arrière-plan. Le territoire, comme l’entreprise, se concentre sur l’acquisition d’une capacité à organiser les seules données présentes en interne, mais non ou mal structurées, identifiées et exploitées.
Cette timidité est renforcée par la faible visibilité réglementaire. Le régulateur va-t-il introduire du contrôle et des restrictions ? Qui est propriétaire des datas collectées ? Quel est le droit de regard du générateur ? Quelles données vont, seront, pourront être libérées ? Quant au possible technologique, il ne répond pas forcément à une éthique en reconstruction. Autant d’hésitations qui contrarient la formulation de modèles économiques. Autant d’incertitudes qui paralysent l’innovation des territoires. Pendant ce temps, le lobby des grandes entreprises de services américaines – qui serait le plus important jamais activé auprès de la Communauté Européenne depuis sa création -, entreprend de desserrer l’étau dans lequel le Vieux Continent voudrait enfermer l’industrie de la data. Les autres acteurs, hors champ du numérique, attendent l’arme au pied une histoire qui leur passe sous le nez. Il n’y a rien d’inexorable dans cette affaire, elle doit simplement nous donner à penser qu’une histoire s’invente, et que l’urgence est là. Ecoutons la sonnette d’alarme des maires des sept premières villes anglaises (hors Londres) : Nous n’avons plus les moyens de nos services et pendant ce temps, on continue d’investir dans le développement économique et les infrastructures. La logique est contre-productive, il faut investir dans l’intelligence.
L’étau se resserre, les cartes se redistribuent
Revenons à La Condition numérique. Quelle analyse en font nos auteurs ? “C’est une lutte brutale, définitive, car elle ne porte pas sur la récolte des données mais sur le contrôle de l’accès au réseau.” Ce contrôle est justement la clé de l’abondance de la donnée, dont la valeur augmente avec la richesse des croisements démultipliés. Chaque avancée au sein du cercle exponentiel de la donnée augmente la masse critique et repousse un peu plus d’éventuels prédateurs qui oseraient s’aventurer dans ce domaine conquis de haute intelligence. Mieux, ce cercle inventif se nourrit d’une “double transmutation” qui capitalise la puissance dans une formidable spirale. Nos experts des médias se penchent sur la logique appliquée à leur secteur – “turn data into news, turn news into data”. Ce processus vaut mutatis mutandis et fonctionne mieux encore pour le couple data-services – “turn data into services, turn services into data” -, qui est au cœur des investigations construites dans le programme DatAct. Son champ des services est loin d’être couvert, il est même immensément ouvert. Sa conquête est la seule issue pour se donner les marges de manœuvre perdues dans les solutions classiques.
Où sont les tensions à résoudre ? Bien sûr dans un jeu des acteurs encore mal défriché. Les cartes y sont violemment redistribuées. Des méthodologies s’imposent pour identifier leurs moteurs d’implications. Il ne sera pas très difficile de les mettre au jour. En revanche, “la transformation des données en bien public” s’avère autrement plus ambitieuse. Elle est déterminante de “la nature du capitalisme numérique”. “Selon que les données seront un bien privé, ou deviendront bien commun ou bien public (le capitalisme) sera hypercapitalisme, capitalisme régulé ou économie du partage.” Un enjeu essentiel à clarifier, des pistes à éprouver sur le terrain entre entreprises et territoires. Il y a tout simplement un cœur de réacteur à inventer ensemble.
Mais pourquoi déployer tant d’énergie ? C’est là le génie du numérique : “L’outil numérique (fourni par ces géants) n’est pas un artefact utilitaire, mais une solution totale pour aider l’utilisateur à se définir lui-même, tel qu’il vit, dans sa condition numérique.” Vous avez dit “condition numérique” ? Nous entendons “solutions innovantes” !
L’innovation servicielle avance à grands pas
BlaBlaCar fêtait le 18 avril, dans la bonne humeur, le trois millionième abonné à son service de covoiturage, un point sur une courbe en accélération impressionnante. Le même jour, Le Monde titrait “Carmageddon” pour dire les affres des constructeurs automobiles et Les Echos parlaient de descente aux enfers de l’industrie automobile. La filière allemande, jusqu’ici préservée, entre dans cette glissade de 18 mois de baisse continue au plan européen. Cherchez l’erreur ! La place de marché des services automobiles attire 400 à 500.000 passagers tous les mois, forcément prélevés sur d’autres modes, voitures particulières et train. Elle collecte 100.000 nouveaux abonnés tous les mois.
Demandez-vous pourquoi, sur le parcours Paris-Lyon, les récents transports low cost IdBus et Ouigo ont fixé leur tarif à 35 euros ? C’est le prix moyen acquitté par le passager d’un trajet BlaBlaCar sur ce même itinéraire. L’économie servicielle dicte ses conditions et va poursuivre l’érosion d’une industrie manufacturière et infrastructurelle en mal d’une révolution servicielle. Demandez-vous aussi pourquoi Avis rachète Zipcar, le leader mondial de l’autopartage ? Pourquoi Europcar lance des offensives sur la location très courte durée ? Pourquoi Google se fiche de fabriquer la Google Car mais anticipe le marché de l’écosystème de la donnée, qui créera demain la valeur de ce marché ? C’est ce monde que DatAct entend anticiper.